skip to Main Content

WONDER TALES

WONDER TALE • 01

« Il était une fois, un lapin esclave du temps à la merci de sa maîtresse rêveuse. Bien aise d’être parfois cajolé, sa dévotion se perd alors que collier se resserre chaque jour, que la laisse se fait plus courte et l’étreinte plus rageuse.

A quoi bon pointer les oreilles en direction du ciel quand celui-ci ne lui réserve jamais ni tendresse ni douceur ?

Le lapin, fin connaisseur du Pays des Rêves, architecte du temps qui court, sent le trouble s’installer. Il lui semble que la joie fourmille dans les bosquets et que les fleurs éclosent partout autour de lui. Son Wonderland lui échapperait-il ?

N’est-ce pas à la seule extrémité de la laisse l’origine de tous ses maux ? »

WONDER TALE • 02

« Alice papillonne. Elle rêve de mille sucreries et de danses par myriades. Les arbres se courbent tels des bâtons de sucre, ruisselant de saveurs inconnues dont l’exotisme soulève sa poitrine de halètements brefs et sonores. Fidèle à elle-même, Alice n’a d’yeux que pour ce chancelant décor, à peine alerte des gémissements du lapin.

En guide maladroit, ce dernier ne sait plus s’il doit tirer encore sur la laisse pour entraîner Alice dans sa course. Ils vont être en retard, c’est certain maintenant. La blessure au cou devient insupportable, le collier de cuir (de la peau même de son lièvre de père, le sadisme d’Alice ne semble connaître aucune limite) l’étrangle à chaque pivot de sa maîtresse pour de nouveaux émerveillements.

“Tu ne sais pas ce que l’horloge te réserve si tu tentes de tordre ses aiguilles “ marmonne le lapin. En le pensant si fort, il l’a dit à voix haute.
Non certain qu’Alice l’ait entendu, une vive traction le laisse sur le flan alors qu’Alice caresse une pomme perchée à son arbre, d’apparence savoureuse. »

WONDER TALE • 03

« S’enfuir, battre la forêt de ses pas élancés, si vite que l’épuisement n’eut pas le temps de l’atteindre. C’est son cœur battant à la chamade qui l’obligea à se parer à l’orée d’un bois déjà lointain, avant juste avant qu’il ne lui semble exploser de l’intérieur. Lui qui est toujours si ponctuel, jamais il n’a lieu de courir si promptement.

Il est fou d’une rage euphorique. Il jubile, sautillant maintenant, le corps tout entier dressé vers l’arrière, soulevé d’une excitation qui le submerge. Il l’a semée ! Cet infâme enfant, ce Tiran des Merveilles, cette vile maîtresse imbue d’un pouvoir sournois et moqueur. Alors qu’elle tendait les mains en l’air, si bêtement attendrie devant l’immense verger, fascinée par une pomme parmi tant d’autres, les yeux baignés d’une tendresse mièvre. Il l’avait prise de court, mordant sa main qui tenait la laisse. Elle avait seulement jappé comme un animal et laissé échapper la prise. Lui avait filé tout droit, sans même regarder une fois derrière lui. Sans même s’inquiéter de la profondeur de la morsure, qui sans doute avait traversée le gant de soie.

Le lapin – un court instant – culpabilisa. Serait-ce lui qui se fourvoie ? Est-il lui-même le damné à fuguer ainsi, tandis que la jeune Alice s’en trouve blessée, perdue, livrée à elle-même ? Il avait juré un jour de prendre soin d’elle…
Il se rasséréna. Il jura maintenant de se venger d’Alice, passant sa main au cou, se remémorant ses propres blessures au combien plus profondes que ses crocs sur le gant. »

WONDER TALE • 04

« Oh ce lapin, tendre peluche grivoise. Il est la frontière à ses maux, le rempart à ses dérives. Sans lui, se perdre est une hantise. Comment se moquer éperdument du temps qui court, sans même en avoir conscience ? Sans lui, Alice ne peut être ni en retard ni à l’heure. La voilà seulement à la dérive dans son Pays Merveilleux. Merveilleux ? Qu’en est-il d’un lieu intemporel où tout est figé ?

Partout, elle court après lui. A chaque fourré, derrière chaque arbre, elle tremble de voir surgir ses douces oreilles, de pouvoir le serrer contre elle enfin, et l’étreindre de toutes ses forces. Elle aime le sentir frémir contre elle, et planter ses ongles dans son corps tiède. Avec son tendre pelage, nul doute que la douleur ne peut l’atteindre, c’est une caresse fougueuse. Alice devine que sa laisse lui manque. De l’avoir conçue amoureusement pour lui, après avoir consciencieusement dépecé ce vieux lièvre fou qui jurait être son père, pour en faire un cuir parfait. Voilà qui avait scellé leur passion et forgé leur famille. Ils étaient indissociables, inséparables. On l’avait enlevé devant-elle. Elle s’était laissée distraire à nouveau, comme toujours. Le lapin avait eu si peur qu’il avait dû la mordre pour attirer son attention. Mais elle s’était retournée trop tard, sans même pouvoir apercevoir la scène.

Alice, entre deux cris éperdus à travers la forêt, se fit une promesse. Pour le protéger des démons des Merveilles, elle l’enfermera dans un cachot pour être sûr de toujours pouvoir le retrouver, et regarder l’heure pendre à son cou. Elle profitera alors pleinement de sa liberté. »

WONDER TALE • 05

« Que l’on ne s’y méprenne vil tyran, ce lapin que tu cries à fendre l’écorce des arbres, saurais-tu en un mot et un seul me le décrire ? »

Alice se glace, un frisson lui parcourt l’échine. La voix est venue d’en haut, d’un au-delà que l’on implore à genou. Une rare coutume pour celle à qui tout a été offert, un pain béni dans la langueur de son existence. Prier. S’incliner et remettre son destin à des mains lointaines et inconnues. Alice n’y avait même jamais songé. La détresse pourtant l’étouffe. Le souffle court, les yeux hagards, prête à s’en remettre à toutes les divinités, elle lève le regard vers le ciel. « Oh mais que vois-je ! Une fée si près de moi, quelle rareté. Je m’en croyais remise au sort, aux portes des ténèbres, aux bras de mon lapin égaré ».

« Aussi gourde que le conte original le dît, tu es bien l’enfant gâtée du Pays des Merveilles. Je suis Lisa, l’échassière, omnisciente parmi les cimes. Si je parcours les paysages, je lis surtout l’envers, je perce le miroir des songes. Ton jugement est proche et sera loin d’être divin. Avec mon double Nina, sœur de tout le savoir inversé et maîtresse du tissu aérien, nous préparons le revers. Alors que tu seras devant tous exposés, tu confondras le sol et le ciel. Mais avant, tu dois me dire en un mot qui est pour toi ce lapin. En un mot, un seul. »

Elle comprend enfin. Alice sent la terre fondre sous ses pieds et doit se tenir au tronc devant elle pour ne pas flancher. Avant que ses lèvres ne bougent, elle regarde Lisa, les pupilles maintenant brûlantes d’un feu ardent. « Fils ! » hurle-t-elle comme un glas déchirant.

WONDER TALE • 06

“Parti pour s’enfuir loin de tout, le lapin s’est rendu à l’évidence. Jamais de liberté il ne pourra enlacer tant qu’un battement de cœur frémira dans le corps de sa maîtresse. Il crut peiner à reprendre sa trace, son odorat brouillé par tant de haine et de mépris, ne parvenant plus à détacher son museau de la sueur rance sur son pelage.

Le cri déchirant suffit à le remettre sur ses traces. Un hurlement strident, à s’en fissurer les entrailles. Ou bien fut-ce son récit qui l’interpella ainsi ? Car en un seul mot tout était soudainement entendu. La soumission et le collier, la rage au fond de lui et les flashs incompris d’une enfance sans amour refoulée. Il ne sera donc jamais ni lapin ni homme, condamné à l’entre-deux par Alice, mère indigne qui, plutôt que de lui offrir un chemin dans sa différence, l’aliéna pour la vie.

Maintenant, à deux sauts de patte de sa gorge frêle, il la poursuit à travers le bois. Il pourrait la toucher presque déjà. Mais il se rapprocha encore. Plus près, pour sentir les effluves de ses cheveux d’or, son parfum de fruits rouges, l’odeur de sa peau tendre.

Alors qu’elle cria son nom une nouvelle fois, il surgit devant elle.“

WONDER TALE • 07

“Alice sentait sa présence depuis quelques jours. Elle pressentait les retrouvailles, les coussinets sur ses mains et les longues oreilles chatouillant son cou. Il était sur ses traces. Elle était prête à le recevoir, à lui ouvrir son cœur et ses secrets. Jamais elle n’avait pu lui dire son amour maternel, ni l’élever en fier descendant. Alice avait enterré ses actes, condamné ses écarts. Pendant plusieurs années, elle avait été l’ombre d’elle-même, trainant dans les bas-fonds du Pays des Merveilles, ténébreux sous bien des abords. De là, elle ne l’avait pas vu grandir. Il s’était extrait d’elle alors qu’elle était à peine consciente. Puis il avait été autonome si vite, toujours pourtant dans son sillon. Ils n’en parlèrent jamais. Ils ne le surent eux-mêmes jamais d’ailleurs, jusqu’à ce que la récente séparation réveilla les flashs d’une mémoire sabordée. Maintenant, elle vibrait toute entière de comprendre enfin. Celui qu’elle avait asservit, sans doute guidée par une forme d’instinct primaire, une volonté sourde de le garder près d’elle, n’était autre que son fils. Son lapin à elle, il lui appartenait plus encore, pour l’éternité.

Perdue dans les limbes d’une maternité soudaine, elle dérivait dans la forêt alors qu’il surgit devant elle, les yeux fous. Alice, paupières closes s’était offerte tout entière, les bras ouverts, prête pour une longue étreinte. Et puis rien, le silence le plus soudain. Elle hésita avant de laisser frémir ses cils, et de rouvrir les yeux. Le lapin gisait là, inerte et froid. Il était mort sur le coup. A l’horloge qu’il portait sur la poitrine, elle put décrypter le temps. C’était une veille de Noël.“

WONDER TALE • 08

“Les abysses, abîmes décharnés et toxiques du Pays des Merveilles. Le monde inversé, tel un miroir qui se franchit. Alice connut déjà par le passé ces enfers. Les mêmes repères, les bois vigoureux et les fleurs des champs, devenus monstres difformes et psychédéliques.

Le sol s’affaissait, le ciel tournoyait dans un ballet ivre. Alice gémissait, les genoux au sol et la robe souillée par la terre visqueuse qui lui remontait le long des cuisses, l’ensevelissant jusqu’au bas-ventre, pressant l’antre de sa fécondité du poids de la colère et de l’impuissance.

Aussi candide d’apparence, Wonderland était une machinerie précise. Au trépas du lapin, se manifestait la mise à mal de l’horlogerie vivante. Le temps aboli mettait à nu la bête, le revers d’un corps, comme un lapin dépiauté sur le clou, la chair à vif, béante et offerte à la lente décomposition, aux forces de la laideur et aux charognards. Alice sentait son âme se laisser dévorer. Au fond d’elle, encore vivace malgré les années écoulées, le souvenir de la clé cachée du temps, seul rempart connu à l’inversion du monde. Fut-ce-t-il un espoir qu’elle exista encore ? Quel était le prix à payer pour l’activer ? Un déchirement au fond d’elle lui rappela la marche à suivre, avant de s’évanouir sur le flan.“

WONDER TALE • 09

“Alors qu’Alice se massait les tempes, parvenue à reprendre ses esprits, elle ne put occulter devant elle le corps de son tendre lapin, mort. Elle s’était affalée là, plusieurs jours sans doute. Elle avait roulé sur elle-même, maintenant pétrie de boue jusqu’au visage. Cherchant à faire fuir son regard, Alice fut forcée de constater un détail cinglant : l’horloge au cou du lapin avait disparue. Alors, les flashs syncopés de son passé se firent plus clair. La mort d’un messager du temps supprime tous ses indices. Les horloges s’effacent, le soleil se fige autant que la lune, ni jour ni saison ne sont. Elle comprit qu’elle était vouée à l’errance, d’avoir tant joué de sa candeur, d’avoir déjà défié le temps par le passé.

C’était un soir d’été, il y a bien des années. Elle fuguait comme chaque nuit le long du ruisseau, en quête de ces champignons si rares qu’un croc vaut pour un morceau d’éternité. La jeune Alice s’était sentie pistée. Non pas l’odeur rance de son virulent paternel à ses trousses, il y aurait eu le claquement du fouet pour le trahir, mais bien une présence inconnue. Elle avait saisi alors un large gourdin pour se placer en embuscade au revers d’un arbre. Le choc fut sourd et profond. Elle rompit le crane de l’émissaire du temps, un faon à cette époque. Alors, elle avait dû se salir l’esprit. Dans un dernier souffle le faon lui avait glissé ces mots : « Les aiguilles figées sont la fin de l’âme. Toi seule, au détour d’un objet insoupçonné, trouvera la clé du temps pour libérer Wonderland de son joug immortel. En retour, tu purgeras ta peine. Tu enfanteras le prochain messager sous une forme que jamais tu ne pourras supporter. »

Le glaive d’outre-temps, un mirage fantasmé, la clé de voûte de l’architecture du Pays des Merveilles.

Alice, impuissante s’en remet à la foule. Le 31 décembre à minuit, une brèche s’ouvrira dans Wonderland, le rendant accessible pour douze heures comptées. A celui qui découvrira l’objet dans Macadam, une nouvelle consigne à adopter signifiée à l’intérieur.“

◊◊◊

Si le conte de WONDERLAND se poursuit jusqu’au 31 décembre, son issue finale ne sera dévoilée qu’ici même > Androgyne NYE à Macadam

Photographies et textes par Ex Luisa (Androgyne)
Modèles Thibaut Tressel & Simon Longin

Back To Top